(L'article sur le site de Télérama)Le tout petit monde des journaux télévisés
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Télévision | L'international a toujours été le parent pauvre des JT. Crise aidant, il l'est devenu encore plus. D'où une planète étrange, que l'on peine à reconnaître…
Le 26/06/2014 à 08h00- Mis à jour le 28/06/2014 à 13h18
Emilie Gavoille - Télérama n° 3362
Imaginez un monde complètement dominé par les Etats-Unis. Un monde où l'Europe se trouverait réduite à moins d'Etats qu'une main ne compte de doigts. Où les premiers vagissements d'un rejeton royal feraient couler (beaucoup) plus de salive et d'encre que le ralentissement économique de l'Inde. Ce monde-là, en réalité, pas besoin de l'imaginer : c'est celui que les journaux télévisés des grandes chaînes hertziennes (TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6) ont dépeint à leurs téléspectateurs en 2013. Si elle se voyait dans le miroir que lui tend le petit écran, pas sûr que la planète s'y reconnaîtrait… A quoi pensent les rédactions quand il s'agit de couvrir l'actualité internationale ?
Faire mieux avec moins
En 2009, Nicolas Sarkozy met France Télévisions au régime sans pub après 20 heures, France 2 en profite pour écourter son JT du soir, vite suivie par sa concurrente TF1. Qui pâtit du coup de rabot opéré sur la Une ? La rubrique étranger : 32 % de sujets en moins par rapport à 2008 (1). En 2010, même Arte, éternelle bonne élève en la matière (avec Canal+), allège de 20 % la part de nouvelles venues d'ailleurs dans son édition du soir, plus largement ouverte à la culture. Pourquoi de telles coupes ? C'est simple et mathématique : l'info internationale est la plus chère à produire (billets d'avion, frais de reportages, correspondants à l'étranger…). A chacun sa logique pour faire des économies ; TF1 ne compte plus que trois bureaux à travers le monde, là où France 2 en affiche encore dix. Pour Eric Monier, directeur de la rédaction de la Deux, fondateur du bureau de Dakar (lire encadré ci-dessous), « fermer l'un d'entre eux serait un crève-coeur. Il y a d'autres efforts à faire avant d'en venir là ». Par exemple, « demander à [ses] journalistes d'écourter un tournage pour limiter les coûts ». Ou, dans le cas des horizons les plus lointains, faire appel à des free-lance déjà sur place.
L'événement fait loi
2011 : la terre tremble au Japon, les sociétés arabes se soulèvent… et les télés aussi ! De 11,47 % de l'offre totale des JT en 2010, la part de l'international bondit à plus de 30 % ; la Libye, la Tunisie, l'Egypte et la Syrie accèdent même au top 10 des pays les plus évoqués par les médias télévisés. Les soulèvements populaires au Maghreb et au Proche-Orient, c'est LE parangon de l'info in-ra-ta-ble, « l'événement dont on sait qu'il va se décliner pendant des mois, voire des années, et que l'on va pouvoir suivre », explique Pascal Golomer, directeur de la rédaction de France 3. De fait, en 2013, les actualités syrienne (905 mentions) et, dans une moindre mesure, égyptienne (493) ont été largement relayées par les télévisions françaises, qui ont maintes fois dépêché leurs journalistes sur place. Suivre l'événement ne suffit plus, il faut aussi le créer. A l'ère d'Internet et des images d'agences (EVN) diffusées en boucle sur les chaînes d'info en continu, sortir du lot signifie souvent produire ses propres images.
Tout aussi incontournables pour les JT français que les conflits armés et les graves crises politiques, les catastrophes naturelles. « Honnêtement, quand ça se passe loin, qu'on n'a pas d'attaches particulières avec le pays, on attend d'avoir les premiers bilans pour savoir si on y va », reconnaît néanmoins Eric Monier. Cas d'école, à l'été 2010 : les gigantesques inondations qui ravagent le Pakistan, faisant des millions de sinistrés. Les chaînes, qui n'avaient pas hésité à envoyer plusieurs équipes en Haïti au lendemain du séisme quelques mois plus tôt, mettront plus d'une semaine pour se décider à envoyer des reporters.
Plus de proximité
On pourrait la croire réservée au très hexagonal 19.45 de M6 ou aux décrochages régionaux de France 3. Mais non, la proximité, pseudo-martingale contre l'érosion de l'audience, n'épargne pas la rubrique internationale. Exit la géopolitique, place à l'épopée du compatriote parti faire fortune aux antipodes ! « C'est devenu l'obsession des rédacteurs en chef : il faut trouver un prisme français pour faire valider un reportage », soupire un journaliste de France 3 qui a assisté à la mutation du Soir 3, autrefois très porté sur l'international, en un Grand soir 3 plutôt étriqué. « Le sujet récurrent, c'est le comparatif franco-finlandais sur les systèmes scolaires. Mais sans ça, parlerait-on de la Finlande ? » En 2011, toutes chaînes confondues, pour 732 sujets consacrés à l'Allemagne, l'INA n'en relevait que 15 consacrés à la Finlande... et aucun à la Lettonie. Une autre terra incognita des JT.
Infographie Samuel Rouge pour Télérama
Cet article confirme un sentiment que j'avais depuis longtemps, sans arriver à mettre précisément le doigt dessus. C'est consternant de voir à quel point les chaînes de télé donnent une vision incroyablement appauvrie du monde dans lequel nous vivons, et aussi la surreprésentation ahurissante des Etats-Unis dans les informations.
J'aimerais pouvoir me dire que c'est une tendance propre à la TV, mais je crains fort que les chaînes de radio ne couvrent pas beaucoup mieux l'information internationale.
Dans la presse écrite, je crois que c'est un peu mieux, par contre... en fouinant un peu.