Le témoignage qui suit a été publié dernièrement sur le forum par
Toute à la découverte et l'acceptation de ma bisexualité, je suis arrivée sur ce forum il y a quelques mois. Le ton amical et le niveau relevé des diverses interventions m'ont incitée à découvrir un peu plus cette nouvelle facette de ma personnalité et m'ont amenée également à prendre conscience d'une chose dont j'ignorais l'existence : la biphobie.

Et pourtant.

Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir été témoin de ce rejet du "bi", moi qui, depuis l'âge de 15 ans et jusqu'à l'âge de 31 ans, me croyais exclusivement lesbienne. J'en ai été témoin mais surtout, cela ne m'a pas choquée et je n'ai même pas pensé un seul instant qu'il pouvait s'agir d'une phobie au même titre que celle dont je m'estimais victime quand, au sortir de boîtes homo, mes copains et moi nous faisions courser par des salauds déterminés à "casser du gay".

Il y a quelques jours, une nouvelle inscrite est venue témoigner de sa détresse ; "lesbienne pure et dure", elle avait découvert que sa copine, qu'elle croyait également "100% lesbienne" et pour qui elle avait déménagé à l'autre bout du monde, semblait être émoustillée par des séquences pornos mettant en scène, crime suprême, des mâles. Choc, angoisse, dégoût, besoin de comprendre.
Nous avons sans doute été nombreux(ses) ici à nous sentir quelque peu décontenancés par la virulence du rejet de la bisexualité dont cette personne faisait preuve, tout en cherchant à "nous" comprendre.

Cela m'a fait pas mal réfléchir et remonter dans mes souvenirs, à la recherche d'une certaine personne que j'ai été et dans laquelle l'honnêteté intellectuelle m'oblige à voir des similitudes avec cette femme en détresse.
Oui, j'ai sans doute été biphobe, sans le savoir. Le but de ce post (qui, je le sens, va être assez long...) n'est pas de "confesser mes crimes", mais plutôt d'essayer de comprendre, et peut-être d'apporter un éclairage sur ces réactions de "rejet du bi" que l'on voit chez beaucoup de lesbiennes. Prenez-le donc pour ce qu'il est : un moment de réflexion. Je ne prétends pas énoncer des vérités, mais simplement partager mon expérience avec vous.

Or donc, retour vers les années 90, la fac, l'exploration (enfin !) de mon orientation sexuelle (j'utilise le terme "officiel", mais vous pouvez y inclure, outre la sexualité, la préférence affective, amoureuse). Orientation dont j'était pleinement convaincue lorsqu'elle m'a éclaté à la figure vers mes 15 ans, sous la forme d'une jolie brune dont l'effet sur mon cœur et sur mon corps ne laissait plus de place au doute. Il m'a fallu toutefois attendre encore 4 ans avant de pouvoir aimer et être aimée de retour par une femme. A 19 ans, je n'avais donc aucune expérience sexuelle, pas même avec moi-même. Les garçons ne m'avaient jamais intéressés, je n'en étais jamais tombée amoureuse, quant à ressentir du désir pour eux... voilà qui relevait, dans mon monde, de la science-fiction la plus délirante.

A la fac, donc, je fis connaissance de quelques filles et garçons homosexuels. C'était pour moi l'âge de la découverte, de l'exploration, du besoin d'identification. Je n'avais d'yeux que pour les femmes, elles me fascinaient tant que je ne comprenais pas, en toute bonne foi, comment l'on pouvait leur préférer les hommes (pardon, messieurs. Je ne connaissais rien à la vie). Avec le recul que j'ai aujourd'hui, je m'aperçois en vérité que ce ne sont pas tant les hommes que je rejetais, que le masculin (tel qu'il est défini dans nos sociétés occidentales) et, aussi, le pénis. Pourquoi le pénis ? Ayant vécu une enfance et une adolescence sans histoires, bien à l'abri dans une famille aimante, tout ce qu'il y a de plus classique, je n'ai jamais été confrontée au sexe, sous quelque forme que ce soit. J'ai souvenir d'avoir, petite fille, entr'aperçu le zizi de mon papa un jour où je suis entrée dans la salle de bain sans crier gare, mais vraiment pas de quoi traumatiser une gosse. Je n'ai pas subi d'assauts, pas été confrontée à des images pornos, bref, rien de ce qui pourrait faire germer dans un jeune esprit un dégoût de la chose. D'où me vint donc cette bite-phobie ? Je n'en ai pas la moindre idée. Peur de l'inconnu ? Peur d'un corps étranger dans mon corps ? Allez savoir... A ce jour, je n'ai toujours pas de réponse, et à vrai dire je m'en bats l'œil.
Ce ne sont donc pas les hommes en bloc que je rejetais. Pour preuve, à 20 ans c'est un garçon qui m'a donné mon premier orgasme, simplement en me masturbant – je n'ai pas voulu aller plus loin, je ne voulais même pas voir son sexe. C'était un bon copain, un garçon gentil, pas macho pour deux sous.
Toujours est-il que je me retrouvais souvent avec des lesbiennes anti-mecs, le genre à écrire « bi s'abstenir » dans une petite annonce. Et ça ne me choquait pas.

Que représentait donc les bisexuels, pour moi ?
Qu'un homme fut bisexuel, cela je pouvais facilement le concevoir. J'avais des copains gays : un homme avec un homme, ça me semblait normal : la bite devait être une affaire de mecs, autant qu'ils ne viennent pas emmerder les femmes avec "ça". Un homme avec une femme, ben ça me semblait normal aussi, puisque les femmes sont tellement plus désirables que les hommes (je rappelle que ceci est le raisonnement de la personne que j'étais, pas de la personne que je suis aujourd'hui). Donc, a fortiori, un homme bisexuel, cela avait une certaine logique.
Mais une femme avec un homme, là, déjà, je ne comprenais pas. Je me disais que c'était parce qu'elle n'avait sans doute pas "essayé" avec une femme (amusant de constater que c'est le type d'argument qui revient souvent chez les crétins au sujet des lesbiennes). Et alors qu'une femme pût faire l'amour à une femme et continuer à préférer (ou même apprécier à parts égales) les hommes, là, pour moi, ça relevait du délire intégral, du déni de Vérité, de la fausse route totale. Bisexuelle ? C'est quoi ça ? C'est juste impossible. Tu ne peux pas prétendre aimer les femmes si tu aimes les hommes. On est dans la vérité ou dans l'erreur, mais on ne peut pas être entre les deux. Voilà, en gros, comment je voyais les choses.
Le pénis étant pour moi une chose dégoutante, l'accessoire infâme avec lequel l'homme soumet la femme à son autorité ; difficile d'accepter qu'une femme qui prétende m'aimer ou me désirer pût également désirer se faire entrer cette chose indigne en elle. Bon, là je caricature un peu, mais l'idée est là...

Quelques années plus tard, piquée par la curiosité, je finis par poser des questions à mes amies hétéros : c'est comment, la fellation ? C'est pas juste dégueulasse ? La pénétration... bon, j'avais découvert ça avec mes petites amies, à la rigueur je pouvais comprendre, même s'il me semblait qu'un pénis ne pouvait pas être aussi habile que des doigts. Petit à petit, la curiosité scientifique prenant le dessus, je finis par me confronter à des scènes de fellation, merci internet. J'en fus fort émoustillée... et j'en conçus aussitôt une honte énorme. J'étais lesbienne ! Comment ce genre de trucs pouvait-il m'exciter ?

Bien du chemin parcouru, depuis ce temps pourtant pas si lointain (allez, une dizaine d'années en arrière tout au plus).

Bref. Voilà qui j'ai été. Voilà qui je vois dans ces lesbiennes qui rejettent si violemment les hommes ou leurs attributs, et par extension les femmes qui sont susceptibles de s'y intéresser.
La biphobie n'est donc, à mon sens, pas juste liée à la peur de l'infidélité, de l'indécision ou de l'instabilité. Elle peut trouver ses racines dans une certaine misandrie, que j'ai hélas souvent observée dans la communauté lesbienne, et dont je me suis moi-même rendue coupable sans même en avoir conscience.

Le pire, dans tout ça, c'est que si à cette époque-là je m'étais trouvée en face d'une personne comme je suis aujourd'hui, une personne qui aurait essayé de m'expliquer un peu la vie, le plaisir et l'amour avec les hommes, tout ça tout ça, ben je l'aurais sans doute rejetée – comme un croyant extrémiste rejette toute personne susceptible de remettre en question SA vérité.
Face à cette femme perdue devant la potentielle bisexualité de son amante, je me retrouve donc d'un coup projetée de l'autre côté de la barrière. J'aurais pu, fut un temps, être cette femme. Et je n'aurai sans doute pas su me départir de ma défiance vis-à-vis des bisexuels. En tout cas je lui souhaite, pour elle et pour nous, de s'ouvrir un peu à ce que nous sommes et de voir qu'avant tout, derrière les femmes et les hommes, il y a des être humains, avec des sentiments parfois complexes mais qui ne méritent pas d'être cloués au pilori.